خواطر محلية

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KIKI

Les vagabonds qui erraient ça et là dans les rues de Moulay Idriss Zerhoun, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne manquaient pas d’agrément. Bien qu’ils eussent tout un chacun un grain de folie dans la tête, ils constituaient par le truchement de leurs actes et paroles folâtres une espèce de gaieté, une sorte de vivacité qui adoucissait quotidiennement l’âpreté de la monotonie régnante.

Kiki en était un. Mais son histoire n’était pas comme celle de tous les autres. Quelques nuances de dévotion et de civisme lui conféraient un en sus qui vint jeter le jour sur l’homme et lui dorer les fers. Par souci de respect et de peur de braver les convenances, tous les Zerhounis le dénommait Majdoub ; terme dénotant concomitamment les qualités occultes d’un Saint et les dispositions morales d’un niais. Il était aux yeux de tous,  l’oracle de la ville. Ses paroles et ses actes étaient de sérieuses prophéties qu’on prenait soit de mauvaise, soit de bonne part selon les diverses interprétations. On ne voyait jamais ce gaillard à la force de l’âge en dehors du Horme _ qui veut dire le sanctuaire. _ D’aucuns murmuraient qu’Il s’y était retiré pour être en sûreté et bien à l’abri du caïd et de ses sbires qui avaient les recommandations de l’attraper et de le mettre en taule s’il quittait ces lieux sacrés où seule la sainteté du marabout le couvrait et protégeait contre toutes violences ou malveillances.

Il était lui aussi un vagabond qui se promenait jour à  jour avec son sebsi ; espèce de longue pipe trop mince à tête minuscule, particulière aux fumeurs du kif, et qui lui servait également de luth figuratif qu’il mariait de fiction avec sa voix robuste pour débiter de longues queuleuleus de palabres insensées, mais mélodieuses et agréables à l’oreille.

Le caïd se voyait crûment visé par les bévues de ce Majdoub qui devenait de jour en jour une notoriété dans la ville et dans tous les hameaux voisins. Ses soupçons grandissaient sans cesse si bien qu’il ne réussit plus à ménager ses susceptibilités, et s’avisa un jour d’exiger de Kiki des éclaircissements sur ses actes suspects et paroles équivoques qui faisaient tache d’huile et suscitaient l’admiration de toute la population.

Ni ses airs hautains et fastueux, ni ses regards dédaigneux ne parvinrent à endiguer les délires hérétiques aussi bien que sacrés de Kiki. Celui-ci regardait son adversaire, il semblait lui manger petit à petit le blanc des yeux. Il se tut enfin promptement, et avant de prendre la fuite en direction du sanctuaire du grand Saint Moulay Idriss, et pour donner satisfaction à sa colère, il décocha à l’auguste personne du caïd un violent coup qui lui pocha l’œil et toute la joue gauche. Les gardes qui avaient leur chef sans trêve en exécration  ne purent, parce qu’ils ne voulaient pas attraper le coupable..

Depuis ce jour-là, Kiki ne quitta jamais le périmètre du sanctuaire. Ici aucune autorité ne pouvait lui nuire. Ici tout le peuple l’entretenait, tout le peuple l’adorait.    (A suivre)

             
   Tayebi ZAÏMI


PLUS BÊTE QUE ZABETE
Le narrateur attend avec impatience le moment de la récréation pour écouter la suite de l’histoire que son ami Anass lui raconte par épisodes depuis quelques jours. Mais cela est impossible aujourd’hui et les deux sont déçus.

Le cours de français retenait toute mon attention et me fit oublier un peu l’histoire d’Anas. Mais à mesure que la récréation de quatre heures approchait, mon impatience montait en aval, si bien que  je n’arrivais point à suivre pendant tout  le dernier quart d’heure de la leçon.

Quand la cloche sonna, ma déception fut grande, et Anas était encore plus déçu que moi. Le maître de l’autre classe rassemblait tous les élèves de l’école et  les rangeait deux par deux à l’entrée de la cour. Il semble qu’il ne nous sera pas possible d’achever mon histoire me dit Anas, C’est ce que je pense moi aussi. A cause du carnaval, n’est-ce pas ?

Nous avions vite compris ce qui se passait et ce qui arriverait, parce que ce n’était pas la première fois que nous assistions à la même scène

Le maître de l’autre classe voulait de temps à autre, donner aux punitions infligées à ses pauvres élèves un ton extravagant. Dieu seul sait pourquoi ?  Aussi organisait-il un sorte de carnaval auquel  tout le monde était invité bon gré malgré, et où le puni malheureux détenait le rôle du héros tragique.

Notre maître à nous, quoiqu’autoritaire, réussissait toujours, en dépit de ses rugosités, à adopter et à adapter à tout un chacun de nous la sanction qui convenait. Il avait ce don singulier de corriger, de redresser, de parer d’avance à toute déchéance en classe, sans pour cela gâter la main aux bons et aux plus forts, et sans faire la scène aux faibles ou humilier les moins doués.

Une blague riante et agréable à l’esprit, une histoire succincte et pleine d’humour, deux ou trois phrases porteuses de morale sérieuse et instructive, suffisaient pour  rendre les hommages aux uns, ou  tirer les oreilles aux autres.

Qui va passer aujourd’hui ? Zabete ou Bentato ? nous demanda un ami.
Zabete et Bentato étaient deux enfants à qui le carnaval avait finalement emprunté le nom. Nous disions tous,  Carnaval Zabete, ou Carnaval Bentato. L’un égalait l’autre dans le nombre de maladresses commises en classe, et qui leur procurèrent plus d’une fois le titre de  personnage principal dans  ce genre de sanction.

C’est l’élève puni qui ouvre toujours la scène quand il sort dans la cour, suivant l’ordre de son maître évidemment. Tous les autres élèves attendent, impatients, ou plutôt curieux de connaître l’animateur  principal du jeu. Ce dernier vient alors prendre place en tête de la rangée, vêtu d’un blouson couleur de cendre, drôlement fait. Il porte sur la tête une coiffure de cuir, confectionnée sans doute chez Monsieur Douara, un fin cordonnier réputé dans la ville pour son doigté et son talent. Au fait il faut être assez habile pour concevoir d’abord une telle tenue, puis la confectionner de telle manière. La couleur, l’épaisseur de la matière, le style et la forme, les deux longues oreilles bien arrangées sur les deux côtés latéraux et pointées vers le haut, le tout donne à l’être qui porte ce costume l’allure d’un bourricot debout sur les deux pattes  de derrière.

La fête commence toujours dans un tumulte général. La gaieté va de plus en plus grande. Au milieu des rires surgirent ici et là quelques imitations de la voix de l’âne. Puis petit à petit tout rentre dans l’ordre. Le malheureux capitaine commence la marche, et tout le monde bouge derrière lui et le suit. Sur une étoffe blanche de forme carrée cousue au dos de son blouson, le maitre a fait écrire par un fin calligraphe, l’expression «Je suis un âne», comme si les longues oreilles et les autres signes allusifs ne suffisaient pas.
            « Y a pas plus bête que Zabete »
            « Ni moins idiot que Bentato »

En faisant le tour de la cour, toute la cohue chante ces slogans, qui ne sont au fond qu’une remémoration des grossièretés entendues de la bouche du maître en classe. Ces attributs que l’école a offerts à  Zabete et son confrère Bentato sont devenus comme une vérité, des dictons ironiques communs et populaires  que tous les gens de notre ville répètent pour diluer l’injure dans la blague, et vêtir l’offense d’une étoffe soyeuse et plaisante.  Même les mamans dans les maisons disent communément à leur fille « Tu es plus bête que Zabète » pour les gronder, et même l’épicier dans sa boutique dit  à son client-ami « Tu es moins idiot que Bentato ».

Les deux sont devenus une célébrité !
Le rayonnement de l’école !
                   
Tayebi ZAÏMI
N.B :  Zabete et Ben Tato sont deux personnages réels.  Leurs noms sont légèrement transformés pour raisons de convenances.


L’air natal

Rien ne peut flatter mon esprit autant que le moment où j’entends quelqu’un louer les charmes et les attraits singuliers de ma ville natale : Moulay Idriss Zerhoune

L’air natal ! L’appellation que je préfère, parce que l’expression a en mon sens, assez d’étendue pour contenir tous mes sentiments et embrasser toutes les pensées, toutes les ardeurs et les passions dont le cœur est si plein qu’il désire les exhaler.N’est-ce pas là où j’ai commencé à voir et respirer le jour ?

Nul autre espace ne peut rendre cette odeur d’El Hamma où, enfants nous allions nous baigner, odeur soufrée, mêlée à celle des meules des moulins à eau assises sur les deux côtés de la petite rivière anonyme au long cours colérique et retentissant.

Quoi d’autre que cette aire, est en état de rendre les échos ludiques de la montagne rocheuse qui répétait « OH ! HAROONE ! » après les jeunes qui jouaient tout près ?

Cet air natal est le seul espace capable de rendre justice à Dar Douara, ou bien Dar ChraÏbi, ou encore Dar Qtera,Dar El Harradi et bien d’autres Dars, et rendre les honneurs à leurs braves propriétaires qui les avaient léguées avec leurs noms de familles au makhzen, et où on instaura les écoles que nous avions fréquentées à une époque où le colonisateur français ne faisait que secouer les oreilles aux questions de l’enseignement et de l’éducation.

Zerhoune, le lieu qui rend raison de mon devenir, et me rend à moi-même pour stopper mes illusions et décolorer mes prétentions.

Il fallait me voir le jour où je parlais à un groupe de jeunes Zerhounis., J’étais beau à voir, essayant de leur élever l’âme en  leur faisant éprouver quelque sentiment de fierté de leur belle naissance. J’étais vraiment aux anges tandis que je peignais en beau notre ville.

Vite je me rendis compte de leur indifférence. Mes oraisons n’étaient que de belles paroles indignes d’être écoutées. Je compris alors que les couleurs que je peignais ne pourraient être appréciées qu’entre les vieux comme moi ; les générations d’avant 1950. Ma déception allait de plus belle et je voulus être cent pieds sous terre. Je me tus enfin.

Chacun trouve beau ce qu’il possède ! Je n’oublie pas de répéter cette boutade chaque fois que j’entends mes enfants et leurs égaux  parler de l’air natal.

Depuis ce jour-là, quand Il m’arrive d’assister par coïncidence à ce genre de discussions, une inquiétude pénible et, en quelque sorte douloureuse me pousse dans l’accul du silence et me fige dans l’extrémité la plus fâcheuse. Quelque prudent que je veuille l’être, par souci d’objectivité, je crains de blesser l’équité et de ne pas faire part égale entre les jeunes et leurs aînés. Les uns et les autres brodent leurs discours sur le canevas des sentiments excités et des transports de l’admiration. En conséquence, la subtilité des couleurs nostalgiques d’un côté, et le ravissement des jeunes âmes par la concrétion du présent tangible et visible d’un autre côté, réduisent toute impartialité à l’impossible. Les deux tendances émanent au fait du même sentiment qui n’a d’autre nom que la passion de cet air natal.    (A suivre)
        
Tayebi ZAÏMI

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